On va essayer d’élever les consciences à des problématiques épistémologiques.
Toute Science a pour but de mettre à l’épreuve les lieux communs qui constituent son domaine d’investigation ; question d’infirmer ou de confirmer ces lieux communs.
Par exemple, en physique :
- jadis, on pensait que le soleil tournait autour de la Terre. Logique : il se lève bien à l’est et se couche à l’ouest. L’héliocentrisme a remis en cause ce lieu commun.
-on pensait également qu’un objet s’arrêtait par manque de force qui le propulsait. Logique : la pierre ne se meut pas si je ne la propulse pas… Newtown remet en cause ce lieu commun et montre qu’un objet qui subit l’effet d’aucune force a un mouvement uniformément accéléré…
Par exemple, en biologie :
-on pensait que les espèces étaient stables et immuables. Logique : je n’ai pas vu de serpents naitre d’un lézard. Darwin balaye ces lieux communs avec sa théorie de l’Evolution
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Par exemple, en psychologie :
-On pensait qu’il fallait une personnalité sadique pour torturer autrui. Logique : faut manquer d’empathie pour maltraiter son voisin. Milgram, dans ses célèbres expériences de soumission à l’autorité, montre que 80% des gens peuvent torturer sans aucun gène un individu dans certaines situations…
Conclusion : toute Science a pour objet de remettre en question les lieux communs qui pullulent son domaine d’investigation et de les confronter aux faits.
L’Histoire est une Science. Elle a donc pour objectif de remettre en cause les lieux communs qui pullulent son domaine d’investigation. C’est d’autant plus pertinent pour cette science que nous savons depuis Georges Orwell que « qui contrôle le présent contrôle le passé ; qui contrôle le passé contrôle l’avenir ». Bref, l’Histoire est une science qui n’est pas innocente de par sa portée politique et nous savons, comme Orwell, que toute politique se doit de la contenir selon ses bons besoins. C’est que dire que si nous admettons que toute science est une remise en question des lieux communs pour les confirmer ou les infirmer, alors l’essence de l’Histoire est révisionniste dans le sens où elle tente de « revisionner », « revisiter » l’Histoire : ce que l’on m’a appris de l’Histoire, est-ce bien exact ?
Tel est le crédo de l’Historien en tant que scientifique.
Et donc, le lieu commun en Histoire s’appelle le « roman national » généralement défendu par des historiens dits « d’Etat ». Ceux qui le combattent se nomment des « révisionnistes ». Et c’est de cette dialectique de joutes scientifiques entre historiens d’Etat et révisionnistes que l’Histoire, en tant que discipline scientifique, se développe…
Pigé ?
Donc le fait de parler de « révisionnisme » ou de « négationnisme » n’est pas innocent. Dans un cas, vous admettez que nous sommes dans une démarche scientifique légitime et dans l’autre ; que nous outrepassons le territoire d’investigation de cette science. La question posée est donc déjà piégée…
L’Histoire est donc par essence révisionniste. La preuve :
-Vous pensez que c’est Néron qui a brulé Rome pour détruire les quartiers insalubres et rebâtir la ville à son gout ? La vérité est que ce jour fatidique, il n’était même pas à Rome et que ces allégations ont été portées des années plus tard par un Tacite manipulateur pour discréditer cet empereur…
-Vous pensiez que le Moyen-Age était période d’obscurité ? Tout le travail de l’historien Duby est de montrer qu’on y vivait fort bien, que les mœurs étaient fort douces (la galanterie y est prépondérante) et les esprits libres (essayer d’écrire « le traité des 3 imposteurs » aujourd’hui et c’est direct le procès aujourd’hui pour diffamation)
-Vous pensiez que dans les guerres de religion, les bourreaux étaient les catholiques et les victimes les protestantes ? Tout le travail de l’historien Jean Sevillia est de montrer que les catholiques n’ont fait que se rebeller comme les atrocités commises par les protestants ; et comme ils étaient plus nombreux, ces derniers allaient forcement recevoir la monnaie de leur pièce…
Bon, tout ce révisionnisme ne pose aucun problème car il s’agit de période dont nous n’avons plus rien à foutre aujourd’hui. Mais voilà, quand l’Historien commence à titiller des périodes troubles, émotionnellement chargées de notre Histoire et aux conséquences politiques sensibles (principalement la seconde guerre mondiale, la décolonisation, les génocides, et l’Histoire récente) ; on lui interdit généralement de trop l’ouvrir. Pourtant, il est toujours dans sa démarche d’historien en tant que scientifique…
Voila quelques révisionnismes qui posent problème car émotionnellement chargée :
-Le rôle des élites économiques américaines dans la montée d’Hitler au pouvoir (lire « le mythe de la bonne guerre » à ce sujet)
-la synarchie ou la trahison des élites économiques françaises afin qu’Hitler envahisse la France pour se débarrasser du front populaire (lire les travaux de Lacroix-Ritz)
-L’existence des chambres à gaz (on pense bien sûr à Faurisson)
Bon, maintenant que j’ai bien expliqué que l’Histoire en tant que discipline scientifique est par essence révisionniste, que pensez du « négationnisme » ? Le négationnisme est un révisionnisme qui prétend que, si les juifs ont bien été persécutés durant le régime nazi, ils n’ont toutefois pas subi d’extermination par chambre à gaz.
Soit le débat d’historiens Raul Hilberg/ Faurisson du temps où l’on ne craignait de finir en prison pour ses opinions.
De par la loi Gayssot, il nous impossible, à moins de finir un an en tôle et ruiné, de développer ici les thèses de Faurisson. Perso, avec Faurisson, je pensais avoir affaire à un fou et puis, quand j’ai lu quelque uns de ses textes, j’ai été frappé par ses qualités argumentatives (je ne vois pas comment le dire autrement). Mais l’homme semble assez érudit et rusé pour pouvoir m’embobiner. Et comme je n’ai pas les compétences ni en histoire, ni en démarche historiographique pour me forger une opinion personnelle, je préfère m’en tenir à la version officielle.
Toutefois, je m’étonne que dans un pays soit disant démocratique, on puisse être inquiété pour ses opinions. Je m’étonne d’autant plus que, depuis Aristote, nous savons que la vérité ne peut être délivrée par la force. Bref, je constate que le gouvernement français, s’il avait voulu légitimer ces thèses négationnistes, ne serait pas pris autrement…Car forcement, foutre un type même louche en prison pour un an parce qu’il promulgue ses thèses révisionnistes, ne serait-ce pas le meilleur moyen de donner du crédit à ce genre de thèses ? Quoi, on nous cacherait quelque chose ?
Je trouve bizarre qu’il faille légiférer ce qu’une Science doit trouver et de perturber ainsi le débat historiens d’Etat/ révisionnistes. Les français n’ont pas besoin qu’on leur dise quoi penser et ils sont suffisamment grands pour pouvoir faire la part des choses dans un débat de bonne qualité. Ne me dites pas que l’on ne peut pas moucher les révisionnistes autrement qu’en faisant taire le débat en les mettant sous le coup d’une loi ?
Les révisionnistes ont tort. Soit ! Qu’on les maltraite selon les usages consacrés d’une vraie démocratie : par un vrai débat. Quoi, il n’y aurait donc pas d’historien assez brillant pour contrer un Faurisson en prime time à la télévision ?
"Ne prenez pas la vie trop au sérieux. De toute façon,vous n'en ressortirez pas vivant!"